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Handicap : il faut « dénoncer haut et fort les mots qui blessent », affirme la secrétaire d'Etat

Un acteur trisomique et son coach, une mère de famille et le directeur d’une Adapei face à la Secrétaire d’État en charge du Handicap… Deux heures d’un entretien passionné entre quatre acteurs engagés du monde du handicap et Sophie Cluzel. Ouest-France y était.

ENTRETIEN.

L’acteur Pascal Duquenne le dit souvent : « Je ne suis pas handicapé, je suis différent ». Quand on entend « gogol » ou « triso » dans la cour de récré ou qu’un ancien Premier ministre dit en plein JT de 20 h « Je ne suis pas autiste » … Comment changer le regard sur le handicap ?

En dénonçant haut et fort ces mots qui blessent. En France, le degré d’acceptation de la différence est très faible. J’aimerais parvenir à faire comme pour l’écologie au quotidien. Nous avons appris à éteindre la lumière, fermer les robinets … Cela a fini par payer. Je voudrais que chaque Français comprenne qu’il peut changer le quotidien des personnes handicapées avec des gestes citoyens et solidaires qui rompent l’isolement : éviter de laisser traîner sa trottinette sur le trottoir, inviter son camarade de classe handicapé, s’intéresser à son collègue de travail différent …

 

Cela commence par accueillir la différence dès la petite enfance, dans les crèches, les écoles. Caroline Boudet vient de vous raconter le parcours du combattant vécu par sa famille pour scolariser sa fille Louise, 4 ans …

Il faut construire cette société inclusive dès le plus jeune âge. Dans son quartier, à la crèche, à l’école, au club de sport. Depuis le 1er janvier, nous accordons une bonification aux crèches qui accueillent des enfants handicapés pour qu’elles puissent faire appel à des professionnels du secteur médico-social afin d’accompagner au mieux ces enfants.

 

Et pour l’école ?

Sur 340 000 élèves en situation de handicap en France (2,5 % de l’ensemble des élèves), 175 000 ont besoin d’être accompagnés. Jusque-là les Auxiliaires de Vie Scolaire (AVS) devenus Accompagnants des Elèves en Situation de Handicap (AESH) étaient recrutés sur des contrats aidés. Des contrats de dix mois, certes renouvelables, mais avec une précarité financière et statuaire. A la rentrée prochaine, ils vont pouvoir disposer d’un CDD de trois ans, renouvelables une fois, avant de se transformer en CDI. Ce statut reconnaît et valorise enfin leur professionnalisme.

Nous expérimentons aussi dans les établissements scolaires les Pôles Inclusifs d’Accompagnement Localisés (PIAL). Ces PIAL doivent permettre aux enseignants, parents, accompagnants et personnel médico-social de mieux travailler ensemble. Les chefs d’établissement en seront les référents. Un nouveau service public du handicap dans les écoles sera mis en place dès septembre. En parallèle, je milite pour que l’on transforme progressivement les établissements médico-sociaux pour les enfants. La règle, ce doit être l’école de la République, pour tous les enfants, avec des accompagnements médico-sociaux de qualité.

 

Cela ne sera pas suffisant. Ne faut-il pas revoir la formation des enseignants ?

Le handicap doit nous réinterroger sur la nécessaire coopération entre l’école et les professionnels du médico-social. C’est un enjeu majeur. Pour les enseignants, il est prévu que les établissements et services médico-sociaux coopèrent dans le cadre de leur formation. Ils pourront aussi compter sur des plates-formes numériques où ils trouveront des ressources et des outils pour les apprentissages.

 

Cela changera quoi pour les familles ? A chaque rentrée, on entend des dizaines de témoignages de parents dont l’enfant se retrouve sans accompagnant.

Aujourd’hui se sont les MDPH (Maisons Départementales des Personnes Handicapées) qui reçoivent les dossiers des familles, notifient les besoins de l’enfant et les compensations. Pour les familles, remplir les dossiers s’apparente à une course d’obstacles. Depuis le 1er janvier, nous avons simplifié les démarches en octroyant des droits à vie pour les enfants dont le handicap est « stabilisé » et supérieur à 80 %. Leurs parents ne remplirent plus qu’une fois par cycle scolaire, jusqu’à leurs 20 ans, leur dossier auprès des MSPH, qui notifieront les besoins d’AESH à l’Education nationale. Cela rendra le système plus lisible et plus fluide.

 

Les MDPH sont dans le viseur des familles. Il faut des mois pour traiter les dossiers, le niveau des aides varie considérablement d’un département à l’autre … Comment y remédier ?

En moyenne, les MDPH traitent 4,5 millions de demandes par an et mettent 4,9 mois pour traiter les dossiers des adultes et quatre mois pour les dossiers des enfants. L’Etat doit garantir l’équité de traitement sur le territoire ; nous devons collectivement mieux piloter les MDPH, c’est l’enjeu du groupe de travail mis en place dans le cadre de la Conférence nationale du handicap

 

C’est une moyenne mais avec des écarts très importants. C’est cela qui irrite.

Nous avons un levier important pour progresser avec un système d’informations adapté qui sera déployé d’ici à la fin de l’année. Nous saurons quels sont les besoins et où sont les places disponibles. Nous allons gagner beaucoup de temps et les maisons vont pouvoir remplir leur mission d’accompagnement et de suivi.

 

Une vie pleine, c’est pouvoir aller à l’école comme tout le monde, travailler comme tout le monde, voter, se présenter à des élections …

J’ai voulu que les majeurs protégés sous tutelle pissent voter. La loi vient d’être promulguée, le 25 mars. Ceux qui le souhaitent vont pouvoir s’inscrire sur les listes électorales et participer aux européennes mais ce n’est pas suffisant. J’ai demandé aux partis, pour les prochains scrutins, qu’ils produisent des professions de fois accessibles, faciles à lire et à comprendre. Les personnes en situation de handicap veulent être des citoyens comme les autres, donner leur avis, se présenter aux élections. Côté français, il y a zéro député handicapé sortant.

 

Etre « inclus » c’est aussi pouvoir travailler ?

En France, 520 000 demandeurs d’emploi sont en situation de handicap. Selon la loi, entreprises et administrations doivent compter 6 % de travailleurs handicapés parmi leurs employés et salariés. Dans le privé, le taux est de 3,5 %, il est de 5,5 % dans le public. Ma réforme vise à simplifier, dès 2020, les démarches pour recruter et maintenir dans l’emploi les personnes handicapées et à développer le dispositif de l’Emploi accompagné.

 

Vous lancez aussi des expériences dans plusieurs départements.

J’ai lancé dans tous les départements français un appel à postuler pour devenir un territoire « 100 % inclusif ». Trente ont déjà répondu, trois ont été labellisés : la Gironde, le Territoire de Belfort et la Manche.

 

Dans ce programme, vous insistez sur le parcours scolaire, les droits, le travail, la citoyenneté ... Et le logement ?

Oui, le vrai levier qui permettra de transformer le regard des gens, c’est l’habitat inclusif qui doit revenir au cœur des villes.

 

 

Recueilli par Aurélie LEMAITRE et Jean-Bernard CAZALETS.

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