Le gouvernement le répète à l’envi : il prône l'« inclusion » des personnes handicapées en milieu ordinaire, à l’école, à leur domicile ou au travail. Mais ce « virage inclusif » inquiète de plus en plus les associations, qui craignent une transition « au rabais » ou au détriment des plus fragiles.
Secrétaire d’État chargée des Personnes handicapées, Sophie Cluzel veut développer une « société inclusive », qui ne cantonne pas les personnes handicapées dans des institutions spécialisées. Si les associations disent globalement partager cet objectif, elles font part de leurs doutes quant au « chemin pour y parvenir ».
« Inclusion au rabais »
Dénonçant une « inclusion au rabais » et une « politique du handicap trop souvent déconnectée des réalités », l’Union nationale des associations de parents, de personnes handicapées mentales et de leurs amis (Unapei), a récemment demandé au gouvernement un « plan d’actions » pour une « transition inclusive effectivement concertée et solidaire », afin de répondre à l'« angoisse croissante » des familles.
« J’ai dit à Mme Cluzel que je ne voulais plus entendre parler de virage inclusif », explique Luc Gateau, son président. « Dans un virage, quand on appuie en même temps sur le frein et sur l’accélérateur, on sort de la route », raille-t-il.
Avec la priorité donnée au « milieu ordinaire », de nombreuses familles craignent que leurs enfants, pour qui les instituts médico-éducatifs restent souvent la seule solution, n’y bénéficient plus d’une scolarisation adaptée. Et ce, alors même que « les listes d’attente ne cessent d’augmenter » pour y décrocher une place.
Le risque, pointe l’Unapei, est qu’au final, « ne restent plus dans les institutions que les personnes les plus lourdement handicapées ».
Vers « une moindre qualité de vie » ?
Pour Pascale Ribes, de l’association APF France Handicap, « la transition inclusive doit rester l’objectif, mais il ne faut pas la dévoyer pour faire des économies sur les aides à l’autonomie, qui se traduiraient par une moindre qualité de vie ».
« On veut mettre tout le monde en milieu ordinaire, mais si c’est pour condamner les gens à rester enfermés chez eux, alors c’est le contraire de l’inclusion ! », relève-t-elle.
Ouvrir les établissements « sur la société »
Interrogée, Sophie Cluzel a affirmé qu'« on ne va pas du tout vers une inclusion au rabais » et que ces termes « ne sont pas respectueux pour les associations et les professionnels qui accompagnent déjà les personnes handicapées à l’école ou dans l’entreprise ».
Cessons de monter un système contre un autre
« Il n’est pas dans mon intention de fermer les établissements, mais de les ouvrir sur la société. Cessons de monter un système contre un autre, c’est angoissant pour les familles », ajoute la secrétaire d’État.
Certaines associations craignent également que les structures œuvrant à l’insertion professionnelle des personnes handicapées - Entreprises adaptées (EA) ou Établissements et services d’aide par le travail (Esat) - soient mises en difficulté par les efforts du gouvernement pour que les entreprises ordinaires emploient au moins 6 % de personnes handicapées, comme elles en ont l’obligation.
Celles qui n’atteignent pas ce taux doivent s’acquitter d’une pénalité financière, qu’elles peuvent cependant réduire - voire, actuellement, annuler - si elles achètent des biens et services auprès d’Entreprises adaptées ou d’Esat. Or, à partir de 2020, cette déduction ne pourra être que partielle.
Pour Didier Rambeaux, président de l’Association nationale des directeurs d’Esat, cette réforme « traduit une vision réductrice de l’inclusion », d’autant que, selon lui, seule une petite minorité des 120 000 personnes concernées souhaite travailler en milieu ordinaire.
De son côté, Sophie Cluzel souligne que la réforme maintient une « incitation » pour les entreprises à acheter auprès des Esat, et donc qu’elle ne « remet pas en cause » ces structures. Elle met aussi en avant sa volonté de « sécuriser les parcours pour ceux qui voudraient pouvoir passer du monde médico-social au milieu ordinaire ».
Inquiétude de certains parents d’élèves
Le « tout inclusion » inquiète également certains parents d’élèves handicapés, notamment ceux des Instituts nationaux de jeunes sourds et aveugles, qui craignent une possible remise en cause de leurs structures. Mais là encore, répond la secrétaire d’État, « il faut sortir d’une vision où on oppose le milieu ordinaire et les instituts », et développer plutôt des « partenariats » entre les deux.
Le Télégramme, 25 juin 2019