Les MDPH accordent de plus en plus difficilement les 24 heures d’aide humaine par jour auxquelles les personnes les plus dépendantes ont droit. La situation d’Emmanuel Lucas, paralysé des quatre membres et aphasique, illustre jusqu’à l’absurde la surdité des institutions face aux besoins de ces personnes.
Il pourrait faire une fausse-route et s’étouffer. Il pourrait chuter de son fauteuil roulant sans pouvoir se relever ni alerter quiconque puisqu’il n’a pas l’usage de la parole. Atteint d’infirmité motrice cérébrale depuis sa naissance, Emmanuel Lucas, 34 ans, vit en effet seul dans son appartement treize heures par jour. Et il se trouve potentiellement en danger. Tous les médecins consultés l’attestent : le jeune homme, entièrement dépendant pour tous les actes de la vie courante, a besoin d’une surveillance permanente.
Cher projet de vie autonome
Pourtant, la MDPH du Calvados refuse de lui accorder les 24 heures d’aide humaine auxquelles il a, en conséquence, droit. Depuis qu’il a aménagé dans un appartement individuel à Caen, en mars 2016, Emmanuel Lucas paie cher son projet d’une vie autonome.
Premier acte : sa demande de réévaluation de ses besoins, début avril 2016. Elle a abouti à une diminution de l’aide auparavant accordée : 9 heures 20 contre 11 heures par jour.
« J’habitais avant à Lisieux dans une résidence-pilote. Trois heures de mes aides humaines étaient mutualisées avec d’autres locataires en situation de handicap. Ainsi, nous pouvions tous bénéficier d’une présence 24h/24 », explique-t-il à travers la voix de son auxiliaire de vie, Xavier Vandewiele.
Un jugement ignorant la loi
Nous relations déjà son combat en avril 2017. Kafkaïen. Après une vaine démarche en conciliation, Emmanuel Lucas saisit donc le tribunal du contentieux et de l’incapacité (TCI). Le médecin expert (qui ne l’examine pas), cité dans le jugement, reconnaît bien sa dépendance totale. Mais il dit ne pas avoir trouvé les textes de loi (ici, section 2) permettant d’aller jusqu’à 24 heures d’aide humaine.
Suivant cet avis, le TCI ne lui accorde que 11 heures. Une décision dont le jeune homme fait appel devant la Cour nationale de l’incapacité (CNITAAT). Depuis, la situation est bloquée. La MDPH du Calvados comme l’agence régionale de la santé (ARS) invoquent la procédure en cours pour justifier leur non-intervention et refuser toute discussion.
« Ils jouent la montre, se désole Xavier Vandewiele. Fin septembre, le dossier d’Emmanuel n’avait toujours pas été ouvert à la CNITAAT : il le sera dans les six mois. L’instruction dure ensuite en moyenne dix-huit mois. Le temps qu’un jugement soit prononcé… Cela signifie trois ans d’attente. »
La lettre morte de Sophie Cluzel
Intenable pour le jeune homme. Il s’est alors tourné vers des représentants politiques. Jusqu’à Sophie Cluzel, la secrétaire d’État chargée des personnes handicapées. Celle-ci a demandé à la directrice de la MDPH du Calvados et à la directrice de l’agence régionale de santé, début septembre, « d’examiner la requête et d’apporter tout leur appui dans la recherche d’une solution pour Monsieur Lucas. » Sans aucun effet.
Pour Yves Mallet, de la Coordination handicap et autonomie qui soutient le jeune homme, « le cas d’Emmanuel Lucas est effarant. Tous les professionnels qu’il a rencontrés reconnaissent son besoin de 24 heures, sauf la MDPH ! Si on prend les textes, il y a droit sans aucun souci. Il a en effet besoin d’une assistance la nuit, d’une assistance régulière le jour puisqu’il ne peut rien manipuler avec ses mains, ni communiquer par la parole, etc. »
La mauvaise volonté de la MDPH
Pourquoi la MDPH du Calvados n’a-t-elle pas pris en compte ses différents certificats médicaux ? Pourquoi aucun professionnel de la MDPH n’est venu au domicile d’Emmanuel Lucas évaluer sa situation ? « Nous n’y sommes pas tenus, dès lors que tous les éléments nécessaires nous sont adressés par ailleurs, explique la directrice, Annie Coletta.
Quant aux certificats médicaux (joints à la demande de conciliation, NDLR), « ils n’ont pas été joints à la demande initiale de réévaluation. Si M. Lucas nous refait une demande, et que des éléments nouveaux nécessitent une réévaluation, nous en prendrons compte. Nous ne cessons de le lui répéter ! », assure-t-elle.
Fin de non-recevoir
Aucun des différents courriers de la MDPH, que Faire Face a pu consulter, ne font état d’une telle demande. Tous, au contraire, adressent une fin de non-recevoir à Emmanuel Lucas. Dans une lettre datée du 29 septembre, Sylvie Lenourichel, présidente de la MDPH du Calvados et vice-présidente du conseil départemental, lui répondait encore : « Notre collectivité a pour principe de ne pas engager de discussions parallèles à une affaire judiciaire en cours. » Un principe faisant donc fi de la situation sanitaire des citoyens. Aurélia Sevestre (Faire-face)
Un problème lié aux “micro-institutions” ?
Pour la Coordination handicap autonomie (CHA), le cas d’Emmanuel Lucas est « emblématique ». Il illustre les politiques de restrictions budgétaires à l’œuvre dans toutes les MDPH. « Elles essaient de plus en plus de trouver des biais pour ne pas accorder systématiquement des 24 heures d’aide humaine alors qu’elles sont nécessaires. On demande aux personnes combien de temps elles mettent pour leurs aspirations endotrachéales ; combien de temps pour faire le moindre acte de la vie courante. Tout cela pour essayer de réduire les temps d’aides… », constate Yves Mallet.
En outre, pour la CHA, le cas d’Emmanuel Lucas n’est pas sans lien avec le développement de “micro-institutions”. Ces petits collectifs, où plusieurs locataires en situation de handicap mutualisent leurs heures d’aide humaine pour financer une surveillance permanente, se développent en France. « La MDPH accorde des heures pour les personnes allant dans ces structures. Puis elle les leur retire quand elles décident de déménager… C’est un financement déguisé via la MDPH de micro-institutions alors que les heures de PCH sont individuelles ! »