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Allocation adulte handicapé : les députés votent une valorisation contre l’avis du gouvernement

Les députés LRM et MoDem ont été mis en minorité sur ce texte, qui rappelle que le Parlement dispose bien du pouvoir de faire la loi, dans une Ve République où il est, la plupart du temps, supplanté par l’exécutif.

A l’Assemblée nationale, l’adoption d’un texte proposé et rédigé par des députés qui ne sont pas membres de la
majorité gouvernementale est un phénomène rare. Qu’elle se fasse contre l’avis du gouvernement l’est encore plus.


C’est pourtant ce qui est arrivé, jeudi 13 février, au Palais-Bourbon avec le vote d’une proposition de loi portant sur le handicap défendue par le groupe Libertés et territoires (un collectif hétéroclite de députés corses, centristes ou macronistes en rupture de ban). Les députés ont adopté en première lecture ce texte qui propose une individualisation de l’allocation aux adultes handicapés (AAH) et son déplafonnement. Il propose aussi de
repousser à 65 ans l’âge limite pour percevoir la prestation de compensation du handicap (PCH). Ce vote singulier pourrait simplement rappeler que le Parlement dispose bien du pouvoir de faire la loi, dans une Ve République où il est, la plupart du temps, supplanté par l’exécutif. Mais cet épisode s’inscrit surtout dans une crise pour le gouvernement et la majorité, quinze jours après le vote controversé d’une autre proposition de loi – cette fois du groupe UDI, Agir et Indépendants (centre-droit) – concernant le congé pour parents endeuillés.

Crise ouverte entre les députés et le gouvernement
Le 30 janvier, des députés La République en marche (LRM) avaient mal vécu d’être inondés d’insultes sur leurs
boîtes mail et les réseaux sociaux pour avoir rejeté l’allongement de ce congé à douze jours au lieu de cinq. Ils ont été accusés de manquer d’« humanité » par l’opposition et ils ont été brocardés au sein de leur propre famille
politique pour avoir été trop loyaux à l’égard des consignes du gouvernement, ou trop « techniques » dans leur
approche du texte. Le tollé provoqué dans l’opinion a conduit le chef de l’Etat, Emmanuel Macron, à intervenir
pour rétropédaler. Cette semaine, les députés macronistes ont d’ailleurs fait connaître une série de propositions
pour revenir sur leur vote et aller plus loin que la proposition de loi UDI, Agir et Indépendants.

L’épisode du congé de deuil a surtout déclenché une crise ouverte entre les députés et le gouvernement, certains
des premiers jurant de ne plus se fier aveuglément aux recommandations du second. Tous promettant de ne plus se faire prendre au « piège », disaient-ils, des « niches parlementaires », ces journées où chaque groupe politique a, environ une fois par an, l’initiative de l’ordre du jour et une opportunité de faire un « coup ».

Fragilité d’une majorité rudoyée
Tous les ingrédients étaient réunis pour qu’un nouveau tollé se produise jeudi dans l’Hémicycle. D’abord, une
proposition de loi sur un sujet sensible : le handicap. Ensuite, une majorité justifiant son rejet en renvoyant la
discussion à des réformes futures. Enfin, la présence de députés d’opposition au flair politique affûté.
Pour la droite, Aurélien Pradié, tempétueux élu Les Républicains (LR) du Lot, fustigeant une majorité qui n’apprenait pas « de ses erreurs ». Pour la gauche, François Ruffin, député La France insoumise (LFI), pas moins
habitué des coups d’éclat : « Vous avez la possibilité de l’humanité ! » Et l’élu de la Somme de prévenir : « Vous
serez seuls dans cet Hémicycle et dans le pays. » Un avertissement qui ressemble à s’y méprendre à une autre
menace, lancée par le même François Ruffin, lors du rejet d’une autre proposition de loi sur le handicap, à l’automne 2018. « J’espère que le pays ne vous pardonnera pas », avait-il tancé à l’époque. Les macronistes qui
s’étaient opposés au texte avaient, déjà, reçu des tombereaux d’insultes.

Dans un contexte de fragilité d’une majorité rudoyée, notamment sur le terrain, dans le cadre de la réforme des
retraites, supportant de moins en moins d’être accusée de manquer d’humanité, subissant le calendrier du
gouvernement et promettant de s’en émanciper, le vote de jeudi a eu des airs de match retour de celui sur le congé de deuil.

La proposition de loi du groupe Libertés et territoires a été adoptée principalement avec les voix de l’opposition,
mais aussi celles de quatre députés LRM. La majorité n’est pas parvenue à mobiliser suffisamment de troupes
opposées au texte, et certains députés macronistes et MoDem se sont abstenus.

Cette adoption du texte en première lecture ne dit rien encore de la mise en application des mesures qu’il contient.
Il faudra pour cela qu’il suive la navette parlementaire classique (deux lectures – à l’Assemblée et au Sénat), ce qui peut prendre un peu de temps. Quand bien même il serait adopté définitivement, sa mise en application
nécessiterait que les crédits budgétaires soient accordés pour les financer. Le vote de jeudi est donc surtout symbolique d’une opposition qui a trouvé les ressorts pour déstabiliser la majorité. Et la battre en faisant adopter
ses propres textes, inversant l’articulation classique du processus législatif sous la Ve République.

Comment fonctionne l’allocation adulte handicapé ?
L’AAH peut vous être accordée, dans le cas général à partir de 20 ans, si votre taux d’incapacité est d’au moins 80
%, ou s’il est compris entre 50 et 79 % et que vous subissez une « restriction substantielle et durable d’accès à un emploi ». Il s’agit d’une aide « différentielle ». Ce qui signifie que vous ne touchez son montant maximal,
900 euros, donc, désormais, que si vous n’avez pas d’autres ressources. Si vous avez des revenus par ailleurs, ou si c’est le cas de votre foyer, votre allocation sera réduite du montant de ces derniers. Attention : les ressources
prises en compte ici sont celles de l’année N-2 et ne correspondent pas aux revenus réels, des abattements sont
appliqués (renseignements auprès de la caisse d’allocations familiales).

Le Monde – 13 février 2020 - Par Manon Rescan

 

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